vendredi 21 février 2014

Agriculture biologique et principe de précautions


Depuis quelques semaines, on voit passer sur les réseaux un nombre surprenant de pétitions et d'appel à l'aide d'exploitants bio qui se retrouvent subitement en délicatesse avec l'administration française.
La dernière en date est la pétition (ipsn.eu) d'un viticulteur poursuivit par l'administration pour avoir refusé de traiter ses vignes contre la cicadelle à titre préventif. Le retentissement médiatique de cet affaire est impressionnant, avec plus de 400 000 signatures en 10 jours et de nombreux articles qui résument tout ça bien mieux que moi.
Ce n'est pas la première fois qu'une telle situation se produit. On a vu passer il y a quelques semaines le cas d'une éleveuse de brebis bio, qui risquait de voir sa production interdite à la vente.

Il s'agit de deux cas symptomatiques. Depuis quelques années, consommateurs et producteurs se retirent lentement, mais surement, des canaux de distributions classique pour se tourner vers de la micro-production locale, alternative voire expérimental qui ont pour objets d'être plus respectueux de l'environnement et de la santé.

Hors, le cadre législatif ne suit pas.  Il semble que les administrations pensent qu'en empilant des règles de sécurité on obtient un système intrinsèquement sûr à moindre coût.
C'est un raisonnement falacieux et dangereux.

Certes, il est nécessaire d'avoir un cadre permettant de sécuriser la santé publique. Il n'est pas acceptable que n'importe quel producteur puisse mettre sur le marché des produits alimentaires ayant subi des traitements chimiques ou biologiques dont les effets sont inconnus.

Car biologique ne veut pas dire non toxique. Je prends ici l'exemple de l'éleveuse citée un peu plus haut, qui utilise des huiles essentielles pour soigner ses animaux.
Les huiles essentielles sont des composés très puissants. Il s'agit de mélanges chimiquement complexes contenant souvent un grand nombre de composés ayant des effets très variables. Les effets d'interaction entre les composés d'une huile essentiel sont mal connus ; encore moins connus sont les effets d'interaction entres huiles essentielles ; et, encore moins connus, le comportement de ces composés dans le cycle métabolique. Les métabolites d'un organisme peuvent être extrêmement toxiques pour un autre ; les venins sont des métabolites.
Il n'est pas possible de savoir à priori quels effets auront les traitements que cette éleveuse utilise pour ses brebis. Sont-ils vraiment efficaces ? Quand on commence à parler d'homéopathie, j'émets de sérieuses réserves. Sont-ils non toxiques pour le consommateur final ? Impossible de le savoir. Sont-ils moins toxiques que les composés chimiques utilisés habituellement ? La question ne va pas de soi ! Cette toxicité potentielle des traitements bio n'est pas ignorée de la plupart des agriculteurs ; cf. le cas du Pyrevert dans la viticulture.

Les composés chimiques utilisés dans l'agro-alimentaires ont des effets toxiques connus et étudiés. Mais pour un ensemble de raisons*, le législateur préfère les solutions globales aux solutions locales. Or, l'empilement de règles de sécurité globales abouti à des contresens - par exemple demander à un agriculteur de traiter ses vignes à titre préventif, alors qu'on sait que celà aura des conséquences néfastes pour sa production (et, in fine, pour le consommateur) et que cela n'est pas nécessaire.
Cela peut même aboutir à des situations dangereuses pour la santé humaine. On commence juste à faire le lien entre allergies (incluant l'asthme) et flore gastro-intestinale. Il est très probable qu'une trop grande régulation des populations microbiennes dans les aliments comme l'usage de médicaments à titre préventif (bétail) soit à l'origine de l'épidémie d'allergie actuellement observée.
Un tel phénomène peut facilement être contré par une diversification des sources alimentaires, mais aussi des traitements chimiques et biologiques utilisés.

Mais la diversité à un coût. Qui doit le payer ? Le producteur, le législateur ou le consommateur ? Il est temps d'amorcer une réflexion, car nous disposons, avec les NTIC, des outils permettant de réintroduire de la diversité sans transiger sur la qualité du suivi. Et ce n'est pas en terrorisant les partisans des solutions alternatives que le nécessaire débat (et les évolutions qui suivront) pourront être réalisées sereinement.

On peut être pour ou contre l'agriculture biologique, mais on ne peut pas défendre la pénalisation en cours.

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* Incluant notamment une capacité limitée des organismes de recherche, une administration appréciant les solutions à moindres coûts et la puissance du lobby de l'industrie chimique